La Fédération des Chambres d’agriculture et de la pêche du Pacifique (FED-CAPP)

     

             

                    

Stratégie commune de la FED-CAPP pour la souveraineté alimentaire du Pacifique

CONTEXTE

La Fédération des Chambres d’agriculture et de la pêche du Pacifique (FED-CAPP) réunit les chambres consulaires de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna. Cette association inédite, officialisée en 2025, répond à des défis partagés par ces trois territoires insulaires :

-          une très forte dépendance alimentaire vis-à-vis de l’extérieur,

-          la nécessité d’une transition vers des systèmes alimentaires durables,

-          l’urgence d’adapter l’agriculture et la pêche aux changements climatiques,

-          le devoir d’assurer la relève générationnelle dans les métiers de la terre et de la mer.

Les présidents des chambres ont souligné que l’enjeu commun est de « mieux produire, plus produire pour mieux nourrir nos populations et les maintenir en meilleure santé sur une génération », objectif atteignable uniquement en unissant leurs forces. Cette plateforme fédérative doit également permettre de parler d’une voix unifiée pour défendre les intérêts agricoles et halieutiques du Pacifique.

Les territoires concernés partagent en effet des problématiques similaires. Aujourd’hui, environ 80 % de l’alimentation est importée (et même davantage à Wallis-et-Futuna), tandis que la production locale stagne ou recule. Cette dépendance extrême crée une vulnérabilité alimentaire, exacerbée par l’isolement géographique, source de pénuries et de tensions sur l’approvisionnement. En parallèle, le secteur agricole vieillit et peine à attirer la jeunesse, menaçant la pérennité des filières à moyen terme. S’y ajoutent des enjeux de santé publique liés à l’alimentation, qui appellent à mieux nourrir les populations en favorisant les produits frais et locaux. La crise du COVID-19 a servi de déclencheur, elle a souligné la nécessité pour ces îles d’accroître leur souveraineté alimentaire et de préparer la relève de la prochaine génération d’agriculteurs et de pêcheurs.

 Dans cette dynamique, les trois territoires affichent également la volonté de renforcer leurs liens avec les autres départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM) afin de favoriser les transferts techniques et génétiques au sein de l’espace ultramarin. Il s’agit de valoriser la solidarité entre territoires insulaires confrontés à des défis communs.

Les échanges pourraient ainsi porter sur des transferts de savoir-faire et de technologies agricoles — comme les modèles d’agroforesterie autour de l’arbre à pain ou la structuration de la filière bovine — mais aussi sur le transfert génétique de ressources végétales et animales. À titre d’exemple, la Polynésie française pourrait contribuer à la régénération du cocotier à Mayotte en fournissant du matériel végétal adapté et résilient, tandis que la Nouvelle-Calédonie pourrait partager son expérience en matière d’élevage et de valorisation des produits carnés.

Cette ouverture inter-DOM vise à mutualiser les innovations, diversifier les productions locales et renforcer la résilience des systèmes agricoles ultramarins dans leur ensemble, tout en créant de nouvelles passerelles économiques et techniques entre les bassins du Pacifique, de l’océan Indien et des Caraïbes.

 Face aux défis identifiés, la FED-CAPP souhaite se doter d’une stratégie commune articulée autour de cinq piliers fondamentaux :

(1) la souveraineté alimentaire et la transition alimentaire durable,

(2) la valorisation et la transformation des productions locales,

(3) la résilience des systèmes alimentaires face au changement climatique

(4) l’appui à la nouvelle génération agricole.

(5) Intégration économique régionale : vers un marché agricole commun du Pacifique

 Ces piliers guident les actions concertées des trois territoires afin d’assurer un avenir durable à l’agriculture et à la pêche dans le Pacifique.

Dans le cadre de ce document, nous présentons d’abord les piliers stratégiques communs au trois chambres, puis leur déclinaison spécifique au sein de la stratégie portée par la CAP-NC, la CAPL et la CCIMA avant de montrer leur articulation et leur cohérence avec les orientations du prochain programme européen pour le bleuissement et le verdissement des systèmes alimentaires dans les pays et territoires du Pacifique.

 Piliers stratégiques communs de la FED-CAPP

1. Souveraineté alimentaire et transition alimentaire durable

Renforcer la souveraineté alimentaire des territoires du Pacifique est le premier pilier de la stratégie commune. Il s’agit de réduire progressivement la dépendance massive aux importations en augmentant la part des denrées produites localement dans la consommation.

Chaque territoire affiche la volonté de retrouver une autonomie alimentaire minimale, gage de sécurité pour les populations en cas de crises. La Polynésie française s’est fixée pour objectif d’atteindre 50 % de produits locaux dans les cantines scolaires d’ici 2030, une ambition que suivent de près la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna pour habituer dès le plus jeune âge les enfants à manger local et sain. Le mouvement « Mangeons local » prend ainsi une dimension régionale, encourageant les consommateurs, les restaurations collectives et les distributeurs à privilégier les produits locaux.

Cette transition alimentaire durable vise à la fois une alimentation plus saine et un modèle de production plus respectueux de l’environnement et des cultures locales. En promouvant les circuits courts, les produits frais de saison et les recettes traditionnelles, les chambres d’agriculture et de la pêche entendent orienter les habitudes de consommation vers plus de durabilité. Ce pilier s’accompagne d’initiatives de sensibilisation du public afin de valoriser les bienfaits nutritionnels, économiques et culturels d’une alimentation locale et équilibrée.

2. Valorisation et transformation des productions locales

Le deuxième pilier vise à valoriser les productions locales en développant la transformation agroalimentaire et les marchés de proximité. Il ne suffit pas de produire plus, encore faut-il mieux valoriser les produits agricoles, d’élevage et de pêche afin d’augmenter la valeur ajoutée captée localement. Dans de nombreuses filières (fruits et légumes, viande, poisson, etc.), une part importante de la production brute est aujourd’hui peu ou pas transformée sur place, ou perd de la valeur en raison d’un manque de débouchés structurés. La stratégie commune promeut la création d’unités de transformation à échelle adaptée (ateliers de transformation, conserveries, abattoirs de proximité, etc.), le développement de labels locaux de qualité, et le soutien aux circuits courts de commercialisation.

 L’objectif est multiple : offrir aux agriculteurs et pêcheurs des débouchés stables et rémunérateurs, fournir aux consommateurs des produits locaux diversifiés toute l’année (produits frais ou transformés), réduire les pertes post-récolte et les invendus, et in fine substituer des produits importés par des produits locaux transformés.

Cette valorisation s’accompagne d’un effort de structuration des filières et de mutualisation. La FED-CAPP encourage par exemple la création de coopératives ou d’associations de producteurs pour mettre en commun la collecte, la transformation et la distribution des produits locaux.

3. Résilience des systèmes alimentaires face au changement climatique

Les territoires insulaires du Pacifique sont en première ligne du changement climatique, qui menace directement leurs systèmes alimentaires. Le troisième pilier stratégique consiste à renforcer la résilience de l’agriculture et de la pêche face aux aléas climatiques (cyclones de plus en plus intenses, sécheresses récurrentes, inondations, etc.). Concrètement, cela passe par la promotion de pratiques agroécologiques et halieutiques durables, l’adoption de variétés et d’espèces mieux adaptées aux nouvelles conditions climatiques, et la protection des ressources naturelles.

La FED-CAPP insiste sur la nécessité de « restaurer nos environnements et développer une agriculture résiliente, en passant par la réappropriation de nos savoirs traditionnels ». Les savoir-faire ancestraux du Pacifique en matière d’agriculture vivrière, de gestion de l’eau ou de pêche lagonaire constituent en effet un socle précieux pour innover intelligemment face aux défis actuels. Parmi les axes d’action concrets figurent la gestion durable de l’eau agricole (irrigation économe, retenues d’eau, lutte contre l’érosion et la salinisation des sols), la préservation de la biodiversité cultivée (banques de semences locales, agroforesterie, maintien des variétés locales), la diversification des systèmes de production (polyculture élevage, agroécologie, aquaculture durable) et le renforcement des « filets de sécurité » en cas de catastrophes (plans de continuité alimentaire, stocks stratégiques, etc.). En parallèle, ce pilier implique une attention particulière à la santé des écosystèmes : qualité des sols et des eaux, protection des récifs coralliens et zones de pêche, afin de garantir la pérennité des ressources alimentaires. Un système alimentaire résilient est capable d’absorber les chocs climatiques ou sanitaires, de s’y adapter et d’en sortir renforcé, assurant ainsi la sécurité alimentaire en toutes circonstances.

4. Appui à la nouvelle génération agricole (formation, foncier, installation)

Assurer l’avenir des métiers agricoles et de la pêche passe impérativement par le renouvellement des générations. Le quatrième pilier de la stratégie vise à former, installer et accompagner les nouveaux agriculteurs et pêcheurs, en levant les freins qui les dissuadent de s’engager dans ces emplois. Le constat de départ est alarmant : les agriculteurs calédoniens, polynésiens et wallisiens sont majoritairement âgés, et la relève n’est pas assurée si aucune action n’est menée. Pour inverser la tendance, les chambres d’agriculture et de la pêche du Pacifique mettent en place plusieurs leviers.

D’abord, le développement de la formation: renforcement des filières de formation professionnelle initiale (lycées agricoles, centres de formation aux métiers de la mer), multiplication des formations continues et des ateliers techniques pour les porteurs de projet, et valorisation des métiers auprès des jeunes.

L’accompagnement à l’installation proprement dite est crucial. Il s’agit d’appuyer les jeunes agriculteurs dans leurs démarches administratives et techniques, de faciliter leur accès aux financements et de résoudre la question du foncier, souvent un obstacle majeur. Sur ce dernier point, les chambres consulaires travaillent en partenariat avec les autorités locales pour identifier les terres agricoles disponibles (y compris sur fonds coutumiers ou domaniaux), mettre en place des contrats de mise à disposition de terres, et encourager le portage du foncier agricole par des structures publiques ou privées lorsque c’est possible.

Enfin, le mentorat et le tutorat par des agriculteurs expérimentés font partie des mesures d’accompagnement : transmettre les savoir-faire, favoriser l’entraide intergénérationnelle, afin que les nouveaux installés ne soient pas isolés.

Ce pilier reflète l’ambition de « préparer la relève » évoquée par les responsables de la FED-CAPP : sans nouvelle génération pour prendre le flambeau, aucune stratégie de souveraineté alimentaire ne saurait aboutir à long terme.

5. Intégration économique régionale : vers un marché agricole commun du Pacifique

La Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna commercent bien plus avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis ou l’Europe qu’entre elles. Chacune importe massivement des denrées de ces grands pays agro-exportateurs lointains, tandis que les excédents locaux éventuels peinent à trouver preneur au-delà de leur île d’origine.

L’un des objectifs affichés de la FED-CAPP est de « développer un marché commun de 550 000 consommateurs » entre ces territoires. Cette démarche s’inscrit dans une ambition plus large de souveraineté alimentaire régionale : mutualiser les forces de chacun pour moins dépendre des approvisionnements lointains. La crise du COVID-19 a d’ailleurs révélé la vulnérabilité commune de ces îles en cas de rupture logistique prolongée, et a servi de leçon, incitant à accroître la coopération régionale.

Le projet est d’instaurer un espace de libre-échange portant en priorité sur les produits agricoles, agroalimentaires et de la pêche. Un tel marché commun régional permettrait de valoriser les complémentarités de production entre îles.

Les bénéfices d’un marché agricole commun du Pacifique seraient multiples :

        Écoulement des excédents locaux : les crises de surproduction pourraient être résolues plus facilement par l’exportation vers les îles voisines plutôt que par la destruction des stocks. Par exemple, l’excédent de porc calédonien en 2024 aurait pu en partie trouver preneur en Polynésie française ou à Wallis & Futuna. De même, une excellente saison de fruits tropicaux en Polynésie pourrait profiter à la Nouvelle-Calédonie via des importations intra-Pacifique, réduisant d’autant les importations extra-régionales.

·         Relance par l’exportation : pour la Nouvelle-Calédonie notamment (économie la plus importante des trois), l’accès aux marchés tahitien et wallisien ouvre un vivier de 550 000 consommateurs au total. Cela encouragerait les producteurs à augmenter leurs volumes (économies d’échelle) et inciterait à investir dans des filières orientées vers l’export. Par exemple, exporter régulièrement de la viande bovine calédonienne vers Tahiti aiderait à rentabiliser les abattoirs calédoniens et à augmenter les revenus des éleveurs.

·         Substitution aux importations lointaines : les trois territoires y gagneraient en remplaçant une partie de leurs achats extérieurs (Nouvelle Zélande, Australie, USA…) par des échanges intra-Pacifique. La sécurité alimentaire régionale s’en trouverait renforcée en diminuant la dépendance vis-à-vis des fournisseurs lointains. Cette redirection des flux conserverait davantage de valeur ajoutée dans la région et réduirait l’empreinte carbone du transport.

·         Développement d’une agro-industrie régionale : en conjuguant leurs forces, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna pourraient envisager des projets communs de transformation agroalimentaire, tirant parti de leurs atouts respectifs. Les synergies sont multiples, et la FEDCAP vise justement à « échanger nos savoir-faire et trouver ensemble des réponses aux défis agricoles communs ». Une intégration des marchés faciliterait la mise en œuvre de telles coopérations industrielles.

·         À cela s’ajoute une ouverture vers les autres DOM-TOM, dans la continuité de la stratégie de coopération technique. Le marché commun du Pacifique pourrait servir de pont entre les régions ultramarines, facilitant les échanges de génétique végétale et animale, le transfert d’innovations agricoles ou encore la mutualisation des ressources en recherche et formation. Cette approche interrégionale renforcerait la cohérence et la visibilité des Outre-mer au sein de la France et de l’Union européenne, en donnant corps à une véritable communauté agricole ultramarine intégrée.

Pour avancer vers ce marché commun, il faudra lever les barrières existantes. La suppression réciproque des droits de douane entre la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna serait une première étape symboliquement forte. Un accord inter-collectivités (entre gouvernements locaux) pourrait entériner cette réciprocité. Par ailleurs, des accords sanitaires devront être conclus pour faciliter les flux, par exemple : harmoniser les protocoles vétérinaires afin de permettre l’exportation de viande calédonienne vers la Polynésie française sans doublons de contrôles. Ce projet s’inscrit pleinement dans la vision de l’État d’une communauté du Pacifique solidaire misant sur le développement endogène.

Cette intégration régionale pourrait, en outre, bénéficier de financements européens (FED, etc.) au titre de la coopération entre PTOM. La Fédération des chambres d’agriculture et de la pêche du Pacifique compte d’ailleurs solliciter l’UE pour soutenir ces projets communs – un espace économique unifié donnant plus de poids pour obtenir ce type d’appuis.

 Cohérence avec le programme européen 2026

La stratégie de la FED-CAPP et ses déclinaisons territoriales s’inscrivent en parfaite cohérence avec le prochain programme européen en faveur des PTOM du Pacifique et son axe de « verdissement et bleuissement des systèmes alimentaires » soutenu par l’enveloppe régionale UE. L’Union européenne a en effet retenu le secteur alimentaire durable comme priorité de coopération. L’objectif est de financer des projets contribuant à la transition verte et bleue de l’agriculture et de la pêche, c’est-à-dire intégrant à la fois la durabilité environnementale terrestre (verdissement) et la valorisation des ressources marines (bleuissement).

Cinq résultats attendus ont été identifiés, qui font écho aux piliers de la stratégie FED-CAPP

1.       renforcer l’autonomie alimentaire des territoires,

2.       restaurer la qualité des milieux naturels pour un développement durable,

3.       diversifier la production locale,

4.       promouvoir l’économie circulaire,

5.       améliorer l’accès de tous à une alimentation saine.

Les axes stratégiques présentés plus haut – souveraineté alimentaire, valorisation locale, résilience écologique, nouvelles générations – répondent directement à ces objectifs.

La CAP-NC a identifié plusieurs projets phares qui s’intègrent comme chantiers prioritaires dans la dynamique du programme européen, et qui concrétisent sur le terrain les axes stratégiques évoqués. Ces projets s’inscrivent pleinement dans les objectifs de l’Union européenne en matière de sécurité alimentaire, d’économie circulaire, de biodiversité, de cohésion sociale et de lutte contre le changement climatique. Ils constituent des leviers concrets d’une stratégie opérationnelle, mutualisable & réplicables avec les chambres de Polynésie et Wallis-et-Futuna, et emblématique de ce que peut représenter une action concertée insulaire dans le Pacifique.

 

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